Février 2007, on attend la naissance de notre 1er enfant. Lors de la dernière visite à l’hôpital, on a présenté notre projet de naissance à la sage-femme cadre qui l’a très bien accueilli : pas de perfusion, pas d’ocytociques, pas de rupture de la poche des eaux, pas d’épisiotomie si le BB n’est pas en danger, mobilité pendant le travail, elle est d’accord sur tout. Du coup, on ressort plutôt rassurés. Elle a juste dit qu’en cas de dépassement de terme, ils déclenchent à J+3, mais à ce moment, ça ne nous inquiète pas. Je suis persuadée que notre fils arrivera en avance, comme moi.
Mais voilà, le temps passe et bébé n’a pas l’air pressé. Le jour du terme, un samedi, on se rend à la maternité. Une sage-femme m’examine : mon col est long et fermé, il n’y a aucune chance que j’accouche bientôt. Elle nous donne rendez-vous pour le lundi soir et m’annonce qu’on commencera le déclenchement le mardi matin.
On demande comment ça se passe. On a vraiment besoin d’explications, mais la sage-femme est pressée ; on est aux urgences et il y a du monde. Elle nous explique rapidement le déroulement des opérations : on met un cachet dans le vagin pour provoquer les contractions. Si ça ne suffit pas, on en met un autre 6 heures après et éventuellement un 3ème au bout de 24 heures. Si je n’ai pas accouché dans les 3 jours, ce sera la césarienne. Je demande si le déclenchement est plus douloureux qu’un accouchement normal. Je connais la réponse, mais j’ai besoin de l’entendre. Elle me répond : « on ne sait pas si c’est plus ou moins douloureux qu’un accouchement normal ». Elle n’est pas très à l’aise en disant ça, je sais qu’elle me ment. Pour me rassurer ? Eh bien, c’est raté.
Je ressors de la maternité en pleurant. Durant tout le week-end, je ne peux pas m’empêcher de pleurer. Ce déclenchement est à l’opposé de tout ce qu’on avait souhaité. Je me sens en danger. Je sais qu’un déclenchement est un acte violent pour la mère et pour l’enfant, et je me sens prise au piège. Que faire ? Refuser ? On l’envisage un instant, mon mari et moi, mais il y a le risque lié au dépassement de terme. Est-ce qu’on a le droit de risquer la vie de notre fils en refusant ce déclenchement, simplement parce que j’ai peur ? Finalement, on décide de ne pas refuser. De toute façon je suis à bout psychologiquement. Je ne me sens pas capable d’assumer un refus (j’apprends seulement maintenant qu’à 41 SA + 3 jours, le déclenchement n’était pas justifié).
On se rend donc à la maternité le lundi soir. Je fais un gros effort pour m’arrêter de pleurer juste avant d’entrer. Je suis dans une chambre double, avec une dame qui a accouché il y a 2 jours par césarienne. Elle se lève, s’occupe de son bébé. On ne dirait pas qu’elle vient d’être opérée. Lorsque la sage-femme passe, je lui dis que je suis très angoissée à propos du déclenchement. Elle me dit : « Ne vous inquiétez pas, ça va bien se passer. » C’est gentil de sa part, mais ce n’est pas de bonnes paroles dont j’ai besoin. C’est d’explications claires et précises. Je suis angoissée parce que je ne sais pas ce qui m’attend.
Le lendemain matin, 13 février, à 5h30, une sage-femme me pose un 1er cachet de cytotec (misoprostol) dans le vagin : 50 µg. Elle m’examine : mon col est toujours fermé. On attend, elle me fait des monitorings régulièrement. Petit à petit, les contractions commencent, pas douloureuses. A 11h30, la sage-femme revient faire le point. C’est l’heure où elle doit me poser le 2ème cachet si les contractions sont insuffisantes. Elle me refait un monitoring : les contractions sont bonnes : bonne nouvelle, je n’aurai pas besoin de 2ème cachet. Malheureusement, les contractions faiblissent peu de temps après. J’ai donc droit à mon 2ème cachet (encore 50 µg) à 12h30. Les contractions recommencent, mais ne sont pas douloureuses.
Vers 16h30, ça commence à être vraiment douloureux. J’appelle la sage-femme qui me conseille de prendre une douche pour soulager la douleur. Effectivement, ça me fait du bien, mais pas longtemps. Mon col est toujours fermé.
A partir de 19h30, les contractions deviennent insupportables. Elles s’enchaînent les une aux autres et ne me laissent aucun répit. J’ai à peine le temps de respirer à la fin d’une contraction que la suivante commence. Je hurle de douleur toute la soirée. Je suis toujours dans une chambre double avec une maman et son bébé de 2 jours. J’ai de la peine pour ce pauvre petit qui m’entend hurler toute la soirée. J’essaie de me retenir, mais c’est incontrôlable. Je finis par appeler la sage-femme et je lui dis qu’ils feraient mieux de me faire une césarienne tout de suite car ce déclenchement ne sert à rien. A 21h, mon col est ouvert à 1 doigt. La sage-femme me répond : « mais c’est normal, un premier accouchement c’est toujours long. » Est-ce qu’elle est au courant qu’il ne s’agit pas d’un accouchement mais d’un déclenchement ? Ou alors pour elle, c’est la même chose ?
Je me rends compte que je ne vais pas pouvoir tenir beaucoup plus longtemps. Je ne voulais pas de péri, mais ce n’est plus possible. Je finis donc par l’accepter. A partir de 23h30, je suis en salle de naissance. Je pense à ma voisine de chambre et à son bébé. Ils vont enfin pouvoir se reposer !
La péridurale me soulage. C’est un moment de répit pour moi et mon mari qui m’a assisté toute la soirée, mais pas pour le bébé. Les contractions au monitoring sont impressionnantes. Elles dépassent le maximum prévu sur le tracé. Mon col est toujours ouvert à un doigt. A ce rythme, j’aurai accouché dans... une semaine.
La position allongée me gène, alors la sage-femme me conseille de me coucher alternativement sur un côté puis sur l’autre pour bien répartir le produit de la péridurale. Au début ça marche bien, mais petit à petit, on s’aperçoit que lorsque je me mets sur le côté gauche, le rythme cardiaque du bébé baisse. Elle me demande donc d’éviter le côté gauche. Le problème, c’est qu’en faisant ça, le produit ne se diffuse plus bien, et la péridurale cesse de faire effet à gauche.
A 3h30 du matin, mon col est ouvert à 2 doigts. La sage-femme me dit alors qu’il va falloir faire quelque chose pour accélérer le travail. Elle a lu notre projet de naissance. Elle sait qu’on ne veut ni ocytociques ni RAM, mais le travail n’avance pas, il faut faire quelque chose. Elle nous donne le choix entre les deux : ocytociques ou RAM. Je pense que j’ai reçu assez de substances agressives. J’opte pour la rupture des membranes, en pensant que c’est « plus naturel ». Le problème, c’est qu’à partir de ce moment, les contractions vont devenir de plus en plus violentes et mon bébé n’est plus protégé par la poche des eaux.
Le résultat ne se fait pas attendre longtemps : à 5h10, je fais une hypertonie utérine. Le coeur du bébé baisse à 80 bpm. L’alerte est donnée : la sage-femme appelle le chirurgien pour une césarienne en urgence. Je passe au bloc 10 minutes après. Le chirurgien me passe quelque chose sur le ventre (le bistouri ?) et me demande si je sens quelque chose. Oui, je sens, la péridurale ne fait plus effet à gauche. Il n’y a pas le temps, le chirurgien agit rapidement, je sens sa main qui fouille dans mon ventre. Je hurle de douleur lorsqu’il sort le bébé, puis il me fait une anesthésie générale (anesthésie « flash ») le temps de me recoudre. Je ne vois donc pas notre fils et ça vaut mieux pour moi à ce moment- là, car mon mari, qui voit la sage-femme passer en courant avec un bébé tout blanc et tout mou dans les bras, se dit : « il est mort ».
Notre enfant n’est pas mort, son cœur bat encore: ça lui donne 2 points au score d’Apgar. Pauvre chéri, la première note de sa vie ! Pour le reste, ce n’est pas terrible : à 1mn, son Apgar est toujours à 2. On l’intube et on appelle la pédiatre qui arrive aussitôt. A 4mn, notre bébé commence à bouger, à 5mn, il respire tout seul. Mon mari entend son 1er cri : il est vivant ! Sa note augmente : 8/10. Il lui manque encore un point pour le tonus et un point pour la couleur. A 10 mn, son Apgar est enfin à 10. Le dossier médical indique : « liquide méconial à la césarienne, ph artériel = 6,88, lactates = 17,1 ». En clair, ça signifie qu’il a puisé dans ses réserves de sucre pour alimenter son corps qui manquait d’oxygène. Par chance, c’était un gros bébé, donc il avait beaucoup de réserves. Que se serait-il passé avec un bébé plus petit ?
Lorsque je me réveille, notre fils est à côté de moi dans une couveuse. Je ne me rends pas compte de ce qui lui est arrivé. Il est tout beau, je suis émerveillée, il me regarde avec ses grands yeux : un regard intense. A ce moment, quelque chose de très fort passe entre nous. Tout l’amour qu’on ne peut pas se manifester par le toucher passe dans notre regard. Mes premières paroles sont : « comme tu es beau ! » Puis je lui parle, je lui explique que je voudrais bien lui faire un gros câlin, mais que ce n’est pas possible pour le moment, que son papa va s’occuper de lui et que je le retrouverai bientôt, et alors là, on fera un énorme câlin et une bonne tétée.
Je crois vraiment, à ce moment, que le cauchemar est fini, que je vais passer 2 heures en salle de réveil, puis que je remonterai dans ma chambre et qu’on sera tous les 3, mon mari, moi et notre bébé, mais un nouveau cauchemar m’attend, auquel je ne m’attends pas du tout.
En salle de réveil, je perds la notion du temps. Mais j’y passe plus des 2 heures prévues. On me dit qu’il n’y a pas de chambre libre pour l’instant alors ils me gardent en salle de réveil en attendant qu’une chambre se libère. Régulièrement, des médecins viennent me demander si tout va bien. A un moment, je dis que j’ai envie de dormir. Le médecin me répond : « c’est normal, c’est l’anesthésie », mais au cours de préparation à l’accouchement, la sage-femme nous a dit de surveiller les signes d’endormissements, annonciateurs d’hémorragie.
Plus tard, je sens quelque chose de chaud couler de ma cicatrice. Je n’ai pas la présence d’esprit de penser que c’est du sang. Je dis juste au médecin qui se trouve là : « il y a quelque chose qui coule de ma cicatrice ». Je suis en train de faire une hémorragie. Les choses s’enchaînent, je se sais plus bien dans quel ordre. Ces instants sont restés assez confus dans ma mémoire, j’étais à la limite de l’inconscience. On me met un masque à oxygène, puis on m’administre des plaquettes, puis une transfusion sanguine : 2 poches.
Vers 12h30, on m’emmène en salle d’opération pour une embolisation.
Après l’embolisation, je passe en réanimation. Là aussi, j’ai un peu perdu le fil des évènements. Je me souviens juste que j’étais très faible, j’avais constamment la sensation que j’allais perdre connaissance et ça me faisait très peur. A un moment, j’ai entendu la voix de ma mère : « elle est vivante ». Mon mari avait appelé mes parents pour les prévenir. Ils étaient là, mais je n’étais pas capable de leur parler : je n’avais pas assez d’énergie pour ça. Je n’étais même plus en état de penser à mon fils. Régulièrement, des médecins passaient et m’appuyaient fortement sur le ventre (pour vérifier que l’hémorragie était stoppée ?). C’était atroce, ça me faisait hurler de douleur alors que j’étais sous pompe à morphine.
Je n’ai revu mon bébé que le lendemain. Une sage-femme l’a emmené en réanimation pour que je puisse le voir et elle me l’a mis au sein pour la première tétée.
Je suis redescendue en maternité le mardi en fin d’après-midi, et j’y ai passé 6 jours. Au début j’étais incapable de m’occuper de mon bébé. Je n’ai pu me lever que le 4ème jour. Dans mon dossier médical, une sage-femme note : « très anxieuse +++, se pose beaucoup de questions, refuse de se lever ».
Avant de sortir de la maternité, mon mari et moi avons eu un entretien avec le gynécologue. On voulait comprendre ce qui s’était passé. Il nous a dit qu’ils ignoraient les causes de l’hypertonie, qu’ils étaient en train d’analyser le placenta. Quant à mon hémorragie, il nous a dit qu’elle était due à un déficit en facteur V de coagulation.
Ce n’est que 18 mois plus tard, lors de ma 2ème grossesse, que j’ai compris peu à peu ce qui c’était réellement passé. J’ai vécu cette 2ème grossesse avec la menace d’un risque hémorragique : d’après le gynécologue qui me suivait, si ça s’est produit une fois, ça peut très bien recommencer.
C’est alors que j’ai commencé à chercher des informations sur le cytotec car j’avais le sentiment que ce médicament était responsable de tout ce qui était arrivé. J’ai effectivement trouvé les informations que je cherchais : le cytotec n’a pas d’autorisation de mise sur le marché en obstétrique, il peut provoquer des hypertonies responsables de souffrances fœtales, des hémorragies, voire des décès.
Lorsque j’ai enfin compris, j’étais furieuse et profondément choquée. Est-ce que vraiment, les gynécologues n’ont pas fait le rapprochement entre toutes ces « complications » et le déclenchement ? J’en doute. Ils ne pouvaient pas ignorer les risques liés au cytotec. Alors pourquoi nous ont-ils menti ?
Notre fille est née 2 ans après son frère, par voie basse. J’ai su, cette fois-ci, défendre mon projet de naissance, et l’accouchement s’est passé sans problème : Pas d’hémorragie.
En avril 2008, la Haute Autorité de Santé a émis des Recommandations sur le déclenchement, dans lesquelles elle précise que :
[quote:5c8e40b5c9] Le misoprostol* (prostaglandine E1) n’a pas d’Autorisation de mise sur le marché (AMM) pour le déclenchement artificiel du travail. » et que « Son innocuité n'a pas été suffisamment évaluée, ce qui fait qu’actuellement le misoprostol n’est pas autorisé à l’usage obstétrical. Son emploi doit, pour cela, rester limité à des études randomisées. [/quote:5c8e40b5c9]
* Le misoprostol, c’est la molécule du cytotec.
[url]http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/declenchement_artificiel_du_travail_-_argumentaire.pdf[/url]
Tout ça pour vous dire que si on vous propose un « petit cachet » pour déclencher l’accouchement, vous n’êtes pas obligées d’aller à l’abattoir comme des petits moutons (ce que j’ai fait par manque d’information).
Après avoir eu connaissance d’autres cas (malheureusement plus graves que le mien) j’ai créé un forum d’information et d’échanges sur l’utilisation abusive du cytotec (misoprostol) en obstétrique :
[url]http://www.bebecyto.org/[/url]
N’hésitez pas à y apporter vos témoignages... Vous y trouverez aussi des informations sur le sujet.