Marlène Schiappa bouscule la maternité!

Quel a été votre parcours, et quelle est votre vie de maman aujourd'hui ?

Marlène Schiappa, mère de deux enfants... une au CP et un petit bébé ! Après une première carrière dans la pub, j'ai fondé "Maman travaille" en 2008, le 1er réseau de mères actives : c'est à la fois un blog diffusé sur Yahoo!, une association qui agit pour améliorer la conciliation vie pro vie familiale par différents biais, l'organisation de Journées nationales annuelles avec des speakers et personnalités (environ 300 participantes cette année); nous sommes membres de la COFACE, groupement des organisations familiales et lobby familial du Parlement européen. On a aussi mené une étude sur les mères actives, présentée en juin. Et j'anime des programmes de formation dédiés à la conciliation vie pro / vie familiale.

En tant que maman, je ne me range dans aucune case, même pas vraiment celle de "working mom" puisque je suis aux 4/5e depuis toujours. Je peux très bien être mamuniste le matin, mère indigne le soir ou l'inverse. J'ai allaité 50% de mes enfants, j'ai accouché sans péri mais j'utilise des lingettes débarbouillantes, je trouve les kermesses d'école glauques, mais je me précipite pour accompagner la classe à la moindre sortie au stade; et je suis très fière de moi quand j'ai réussi à maintenir les enfants en vie tout un mercredi !
 
Quel a été le cheminement pour aboutir à ce Dictionnaire déjanté de la maternité ? Comment a mûri le projet ?

Le Dictionnaire déjanté de la maternité vit en moi depuis des années, comme une très longue gestation. En devenant mère, j'ai appris énormément de choses, mais j'ai aussi réalisé que nous avions un vocabulaire spécifique. Je crois qu'entre ma grossesse et maintenant, j'ai appris plus de mots qu'entre l'âge de 10 ans et l'âge 20 ans ! Épisiotomie, césarienne, baby bump, culotte filet... Et puis j'ai aussi voulu parler de tous ces phénomènes autour de la maternité, les mompreneurs, les MILF, le mommy porn, les mommyrexiques, les pamans, les momagers, les blogs de mamans, les congés maternité, la PMA, les forums...!

Ce Dictionnaire déjanté de la maternité, c'est le fruit de toutes ces observations dans les conférences, les rencontres Maman travaille, mes échanges avec les lectrices sur Facebook ou sur le blog...

Avec l'idée du questionnement permanent : c'est quoi, être une mère, aujourd'hui ? Le point commun entre Britney Spears et Christine Boutin, Lynette Scavo et la Vierge Marie, Kim Kardashian et Octomom, Marinette Pichon et vous ?

Parce qu'être une maman, ça ne veut pas dire devenir Caroline Ingalls, une nana en chignon qui dort à côté d'un type en grenouillère saumon et qui fait des tartes aux pommes à la chaîne.... Je voulais sortir des abécédaires ou des documents habituels parfois un peu mièvres sur la maternité.

Mais on apprend aussi des choses, par exemple les origines de l'accouchement sans douleur, ou l'histoire du congé maternité, du repos des 40 jours, l'évolution des mères de famille dans les pubs... Parce que c'est un vrai dictionnaire, avec des chiffres, des citations, des sources, même si les thèmes abordés sont "déjantés". Il y a quand même 368 pages, vous avez de quoi lire jusqu'à Noël !

Je parlais de ce projet qui me tenait à coeur à Stéphane Rose, que vous connaissez sûrement, écrivain émérite, co fondateur de la cérémonie des Gérard de la télévision... La maternité, ce n'est pas son truc, mais le côté décalé, un peu dingue, oui. Et il m'a présenté Yves Michalon, avec qui ça a tout de suite collé ! C'est un éditeur qui a une mentalité de la "génération Y", prêt à faire des paris, à essayer des nouvelles choses même si elles sortent des cases !

Ensuite, toute l'équipe des éditions Michalon a travaillé sur ce livre, notamment Julie l'éditrice qui a passé des mois à tout coordonner, avec la correctrice, l'équipe de maquette... Et j'adore la couverture, faite par Martin Lavergne, on s'est tous rencontrés et il a proposé cette couv' dont je suis fan !

 
Pensez-vous que l'image aujourd'hui un peu idéalisée ou encore très médicalisée de la maternité a besoin d'être bousculée ?

Absolument ! J'en parle plus longuement dans mon entrée R comme... Royal baby. La maternité à notre époque est sacralisée (comme avec ce "bébé royal"), horrifiée (comme dans tous les films et séries qui s'en servent pour nous faire peur, je pense aux scènes atroces d'accouchements par exemple, dans Walking Dead, American Horror Story, ou aux faits divers qu'on entend régulièrement), ou niée (par exemple quand on nous demande d'avoir perdu nos kilos de grossesse à J+5 et de retourner au travail dans la foulée). Mais elle n'est pas prise en compte ! Alors oui, être bousculée, ce serait bien.

Quant à l'hypermédicalisation, c'est un vrai fléau. J'ai beaucoup lu et étudié la question de la péridurale avec des médecins et des mères, et ce qu'il en ressort, c'est l'absence de choix, et ce dans tous les contextes. Ma mère dans les années 80 était vue comme une dangereuse évolutionniste parce qu'elle voulait une péridurale, moi dans les années 2010 comme une hippie californienne accro au quinoa (alors que j'aime le McDo...) parce que je n'en voulais pas, pour un de mes accouchements.

C'est dommage qu'on ne puisse vivre notre maternité que dans la norme, et qu'on rejette systématiquement tout ce qui déborde un peu, tout ce qui est à la marge. Et qu'on infantilise les mères : que celles qui veulent accoucher en maison de naissance après de l'haptonomie ou dans l'eau le puissent, et que celles qui veulent une césarienne programmée puissent l'avoir aussi, quand c'est possible ! Encore faut-il avoir accès à une véritable information, une structure adaptée... Alors que des futures mamans se retrouvent encore trop souvent trop loin de la maternité la plus proche. Mais ça nous amène à la question du coût, de P comme PMI, de G comme Gynécologie médicale et de C comme Choix ! Et puis aussi à la question du Baby Blues, et des DPP auxquelles nous sommes si mal préparées pendant la grossesse....

Quels conseils pourriez-vous donner aux lectrices d'Etreenceinte.com qui s'interrogent sur leur maternité et leurs choix autour de la maternité (arrêt/poursuite de la carrière professionnelle, biberon vs allaitement, etc.) ?

Écoutez tous les conseils... et n'en suivez aucun ! Ce que je veux dire par là, c'est que ce qui est bon pour la voisine du 2e ou pour votre belle-soeur ne le sera pas forcément pour vous. Chaque situation est particulière, c'est trop facile de donner des leçons. Certes, dans l'absolu, c'est mieux d'être indépendante financièrement, mais allez dire ça à la maman qui n'a aucun mode de garde et un bébé différent qui a de gros besoins...

Inversement, certes, un bébé est bien avec ses parents, mais il est bien aussi au contact d'autres adultes, d'autres bébés, et aller gagner de quoi lui mettre un toit au-dessus de la tête ne me semble pas être une attitude de mauvaise mère... Au contraire, tout l'objet de mon discours, est de savoir lâcher prise avec les injonctions de toutes sortes. Il y aura toujours quelqu'un pour qui l'on ne sera pas assez parfaite. Mais franchement, une mère parfaite, ça n'existe pas ! Même Bree Van De Kamp finit alcoolique à force de se mettre la pression, alors... On peut écouter les expériences, et savoir reconnaître celles qui nous parlent.

Quant à l'allaitement, je vous propose d'aller lire A comme Ayatollah de l'allaitement; puis A comme Ayatollah du biberon, de lire Allaitement et féminismes, et puis de filer faire le Bingo de l'allaitement, autour de la page 40 ! Que vous ayez envie d'allaiter au sein, au biberon, deux ans ou deux minutes, vous ne verrez plus jamais les monologues de votre belle-mère de la même façon... !

Le Dictionnaire déjanté de la maternité, Marlène Schiappa, éd. Michalon